Controverse
Mégabassines

Rationalité scientifique

Mégabassines : une partie de chessboxing scientifique pour justifier leur impact positif
Nous assistons aujourd’hui au match de chessboxing scientifique
dit « des mégabassines ». Les organisateurs ont choisi de se concentrer sur la période 2021/2023 – qui a vu émerger la controverse vers le grand public et sur la sous-controverse autour du rapport du BRGM, car il constitue le seul élément « scientifique » justifiant le projet de réserve de substitution de Saint Soline.
Au coin droit du ring, le BRGM. Service géologique national, le BRGM est l’établissement public de référence dans les applications des sciences de la Terre pour gérer les ressources et les risques du sol et du sous-sol dans une perspective de développement durable. C’est un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC). Il est placé sous la tutelle des ministères en charge de la Recherche, de l'Écologie et de l'Économie. Il présente sa mission de gestion des eaux souterraines françaises ainsi : « Face aux défis que posent les changements globaux, la connaissance, le suivi et l'anticipation de la disponibilité et de la qualité des eaux souterraines est au cœur de mes missions ». On pressent déjà une complexité et une ambiguïté pour cet acteur : il participe à la partie, mais en partage également l’arbitrage…
Au coin gauche du ring :
- Des scientifiques et chercheurs, en centres de recherche : Florence Habets, directrice de recherche au CNRS, hydroclimatologue - Christian Amblard, Directeur de recherche honoraire au CNRS, Docteur d'état en hydrobiologie - Gonéri Le Cozannet, docteur en géographie, co auteur du Giec mais aussi chercheur sénior/manager de projets au BRGM - Magali Reghezza, géographe (maître de conférences habilitée à diriger des recherches à l'ENS) et membre du Haut Conseil pour le climat (HCC), …
- Et des scientifiques et experts qui s’expriment de manière individuelle ou comme expert pour les opposants aux mégabassines : Jonathan Schuite, docteur en sciences de la terre et expert hydrologue indépendant - Emma Haziza, docteur en hydrologie et experte hydrogéologue indépendante - Anne-Morwenn Pastier, docteur en géosciences et experte indépendante - Marc Laimé, Journaliste, auteur et consultant spécialisé dans les politiques de l’eau, au plan international et local, …
On ne peut contester le haut niveau scientifique et d’expertise pour ce groupe d’adversaires. Mais informel et non constitué, cela les pénalise au classement Elo (1) : non mandatées ou sollicitées officiellement, leurs positions ne sont pas prises en compte dans les instances décisionnelles.
Et voici que le match débute par les échecs, dans l’arène des instances décisionnelles, par la commande d’une expertise en 2021 par la Société Coopérative Anonyme de l’eau des Deux-Sèvres (ou COOP 79), maître d’ouvrage de projets de création de réserves de substitution sur le bassin de la Sèvre-Niortaise-Mignon. L’étude réalisée consiste en une simulation des prélèvements d’eau envisagés et de leurs impacts sur le niveau des nappes d’eau souterraines et sur les débits des cours d’eau, à l’aide d’un modèle hydrodynamique créé et utilisé par le BRGM, les scénarios testés ayant été fournis par la COOP 79.
Le BRGM ouvre alors la partie d’échec avec sa stratégie habituelle du pion dame : en avançant son premier pion, son modèle régional hydrodynamique intitulé « Jurassique ». Déjà sollicité en 2013, 2016 et 2019 par la COOP 79 pour évaluer les scénarios de prélèvements des réserves de substitution, ce modèle est le seul existant actuellement permettant de répondre aux objectifs contractuels de la COOP 79. Il pense donc jouer la sécurité. Puis il avance sa dame, sa seule pièce maîtresse : son rapport définitif du 17 juin 2022 « Simulation du projet 2021 de réserves de substitution de la Coopérative de l’eau des Deux-Sèvres - Rapport RC-71650 », rédigé par Léna Abasq.
C’est alors que le match continue avec la boxe, sur l’arène médiatique. Avec l’assurance du joueur blanc , nous assistons à une tentative maladroite de KO avec une saillie du président de la COOP 79, Thierry Boudaud, à la conférence de presse de présentation du rapport du BRGM : « Ces résultats sont sans appel ».
La réaction ne se fait pas attendre et voici une contre-attaque de Jonathan Schuite. Il rédige et diffuse un document intitulé : « Pourquoi les rapports du BRGM sur l’impacts des « Mégabassines » en Poitou Charentes doivent être remis en question ». Des coups « inquiétudes » pleuvent alors, mettant à jour les faiblesses de l’adversaire : « méthode de calcul du bilan de surface et son calage », « représentation du transfert de l’infiltration vers la recharge des aquifères », « fenêtre temporelle de l’étude choisie (2000-2011) », … La liste est longue. Puis un uppercut vient solder l’attaque : « ces travaux ne sont à mon avis pas suffisamment mûrs pour être brandis comme les preuves indéfectibles de l’impact faible, voire positif, des réserves de substitution sur l’hydrosystème régional du Poitou-Charentes. ».
De nombreux opposants scientifiques entrent alors en phase de pressing et prennent une avance considérable dans les médias : tribunes, articles de journaux, sites internet dédiés, interview, émission de radio, … Les crochets « arguments » s’enchainent - en particulier de Florence Habets, Christian Amblard et Anne-Morwenn Pastier - étayés par des articles scientifiques : manque de données, incertitudes, modèle portant sur la période 2000/2011, non prise en compte de l’évaporation ni de l’évolution des sécheresses et du changement climatique, … Ce n’est alors plus uniquement sur le terrain de la justification des réserves de substitution de Sainte Soline que le combat continue, mais sur la remise en cause du concept même de méga-bassines. Retours d’expérience d’autres pays, études de cas académiques, tous concourent à qualifier les méga-bassines de « mal-adaptation » au changement climatique.
Se sentant menacé, le BRGM se met alors en position de défense, dite de l’absorption , par un communiqué de presse. Ce dernier précise que ce « n'est pas une étude approfondie, ni une étude d'impact de toutes les conséquences possibles des prélèvements d'eau envisagés. Il ne s'agit pas non plus d'un article de recherche scientifique soumis à l'évaluation de la communauté scientifique ». Son rapport « permet d'évaluer ce qui se serait passé si les réserves de substitution avaient été mises en place au cours des années 2000-2011 ». C'est donc une simulation dans le passé. « En toute rigueur, cette période de référence ne permet pas de prendre en compte les conditions météorologiques récentes et encore moins futures ». Le BRGM reconnaît ne pas avoir pris en compte les risques d'évaporation de l'eau depuis les réserves ni les évolutions climatiques et qu'il serait « important » de le faire.
De retour sur la partie d’échec, le BRGM est auditionné au Sénat par la Mission Gestion de l’Eau, ce qui déplace l’action au niveau politique. Le BRGM roque et y envoie sa Présidente Directrice Générale Michèle Rousseau. Elle se dédouane de plusieurs reproches et précise : « Nous n’avons pas non plus dit qu’on pouvait nécessairement réaliser des prélèvements en hiver. […] Si on construit ces bassines, faut-il encore pouvoir les remplir ». C’est-à-dire qu’il faut que le niveau des nappes phréatiques soit suffisant en hiver, sinon les méga-bassines ne sont pas autorisées à être remplies.
Mais d’autres pions protègent déjà la Reine : le Comité de suivi de l'étude du BRGM mis en place en 2021 et la décision de financements publics pour actualisation du modèle régional "Jurassique" BRGM – sa finalisation étant attendu pour fin 2024.
La partie scientifique est donc loin d’être terminée, mais en réalité, ce match n’est que rhétorique car c’est en fait dans les rationalités « Juridique » et « Gouvernance » que tout se joue. Car les scientifiques n’ont jamais pu entrer ni combattre dans l’arène des instances décisionnelles. On peut légitimement se demander pourquoi la Science n’y tient pas le rôle d’arbitre sur les décisions …
1. Aux échecs, le classement Elo est un outil permettant de mesurer la performance estimée d'un joueur contre un autre. Il prend la forme d'un nombre allant de 100 à l'infini (théoriquement).
2. Le joueur blanc est celui qui ouvre la partie aux échecs.
3. En boxe, la contre-attaque est une action offensive que l’on va effectuer à la suite d’une attaque adverse. C’est une phase où celui qui lance l’offensive devient celui qui la subit.
4. En boxe, le pressing consiste à exercer une pression continue sur son adversaire, dans le but de le perturber et de prendre l’avantage.
5. En boxe, l’absorption est une action défensive ayant pour but d’atténuer l’impact de l’attaque adverse afin de riposter ensuite. Elle consiste à accompagner le coup de son adversaire, plutôt qu’à chercher une esquive directe.
6. Roquer signifie placer l'une de ses tours à côté de son roi et faire passer ce dernier de l'autre côté de la tour.

Carte mentale de la rationalité scientifique
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