Controverse
Mégabassines

Rationalité Politique

Chercher à analyser la dimension (ou rationalité) politique de la controverse générée par la construction de la mégabassine de Sainte-Soline, nous plonge dans un trouble épistémologique certain. En effet, chacun des protagonistes de cette controverse revendique la protection de la Nature, de ses écosystèmes, de l’agriculture et du bien-être des agriculteurs en s’appuyant sur quantités d’expertises et de contre-expertises. Ainsi la mégabassine devient tantôt un outil de destruction des écosystèmes qui assèche les cours d’eau, tantôt, un moyen de préserver les débits de ces cours d’eau et ainsi permettre la protection de ces mêmes écosystèmes.
Il faut aller un peu plus loin dans les positions des uns et des autres pour distinguer les fondements de leur pensée et faire émerger les sous-controverses qui se jouent aussi à Sainte-Soline. Bruno Latour évoque un "choc des mondes" (Seurat, Taris, Latour, 2021) pour expliquer cette transformation très profonde de la définition du vrai et du faux se liant à l’appartenance à un monde. Et c’est bien de mondes politiques (au pluriel) dont il s’agit et qui déterminent le positionnement des acteurs pour ou contre la mégabassine.
Pour répondre à la question, assez simple, "quelles politiques pour gérer la ressource en eau et organiser son partage à Sainte-Soline ?", nous allons ainsi mobiliser un héritage politique touffu mais qui se superpose assez bien à la dimension économique de notre sujet. Puisque, selon les acteurs, l’Eau est perçue soit comme un commun à partager équitablement, soit comme une ressource servant à générer des profits, voire comme un aléa dont il faudrait s’émanciper. Ces perceptions appellent immédiatement des modèles de gestion associés qui, là encore, diffèrent selon les points de vue. Le Commun nécessite une instance démocratique au plus proche des bénéficiaires, tandis que l’Aléa se gère dans les hautes sphères de la société, autrement désignées par leurs opposants de profiteurs du système. La Ressource, elle, se négocie comme n’importe quelle autre ressource, selon la loi de l’offre et de la demande. Cette loi commode qui donne un droit divin sur la Ressource à celui ou celle qui peut se l’acheter et exclue immanquablement les autres. Et on retrouve alors un partage des rôles bien connu et qui correspond peu ou prou à la ventilation idéologique sur l’échiquier politique français et local avec, de gauche à droite, les tenants du Commun, les défenseurs du pragmatisme économique, et les détenteurs auto-proclamés du bon sens. La place de l’écologie politique dans ce panel est quasi impossible à définir tant chacun des acteurs revendique le caractère écologique de sa pensée et donc de son programme.
La prééminence de l’identité politique des acteurs de cette controverse, ainsi que leur appartenance à un monde prédéfini, explique en partie sa virulence dans l’espace médiatique. A cela s’ajoute la dimension de la violence politique qui exacerbe encore les postures où l’on retrouve les grands items propres à chaque camp : l’ordre républicain, la défense des opprimés (argument assez partagé), la défense de la démocratie (argument assez partagé), la défense de la liberté d’entreprendre, l’autoritarisme de l’Etat, l’anticapitalisme, le féminisme… Nous faisons le choix ici de ne pas approfondir cette dimension tant elle est complexe et risquerait de nous éloigner de notre sujet de la mégabassine de Sainte-Soline.
Ainsi, sur le plan politique, nous voyons émerger deux grandes tendances définissant les deux camps, pour et contre la mégabassine : l’adaptation versus la transformation qui peuvent chacune s’appliquer aux dimensions (ou rationalités) agricole, sociale, économique. Ainsi que la définit Romain Felli, la "grande" adaptation ne consiste "pas à éviter le changement, mais au contraire d’en minimiser les conséquences – voire de l’embrasser pour en tirer profit" (Felli, 2021). Cette stratégie élaborée dès les années 1970, se met en œuvre dans le projet de la mégabassine de Sainte-Soline, où ses défenseurs choisissent d’augmenter le stockage de l’eau pour maintenir (voire développer) l’irrigation, tandis que ses opposants militent pour la transformation du modèle agricole et du partage de l’eau entre tous ses bénéficiaires, humains et non humains.
La mégabassine de Sainte-Soline devient ainsi un symbole des combats politiques qui occupent notre démocratie depuis 50 ans et qui s’emparent du changement climatique, d’abord annoncé et a présent subi.

Carte mentale de la rationalité politique
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